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Le Pèlerin – John Alec Baker

Ce livre m’a littéralement sidérée.

Il a été écrit comme une élégie pour ces magnifiques rapaces, qui, il y a 50 ans, étaient au bord de l’extinction au Royaume-Uni à cause des pesticides. Heureusement, les choses ont changé depuis et le Faucon pèlerin est à nouveau hors de danger. Ce livre est le résultat de dix années d’observation, regroupées en une période unique allant de l’automne au printemps.

L’écriture de Baker est exquise et presque chaque page contient des phrases et parfois des paragraphes entiers qui font s’arrêter le lecteur devant leur beauté :

« Cinq cent huitriers pies arrivent du sud, blanc et noir brillant, sifflant de leur bec rose comme du sucre d’orge. Les pattes noires du sanderling courent sur la plage blanche. Un bécasseau cocorlis se tient à l’écart, délicat, l’air d’un poulain, sur un fond d’eau frisée, des yeux doux, mi-clos dans la basane de son plumage facial. La mer recule. Des limicoles nagent dans les vapeurs, reflets liquides amarrés à des ombres noires immobiles ».

Voici sa description du vol du faucon pèlerin :

« Le pèlerin plonge la tête la première pour s’abattre sur sa proie. En descendant, il tend les pattes en avant alors que les serres sont encore cachés sous sa gorge. Les doigts sont crispés, le quatrième, qui est à l’arrière et qui est aussi le plus long, se glissent sous les trois autres qui s’écartent. Il passe tout près de l’oiseau, c’est tout juste s’il ne le frôle pas, en continuant son vol piqué. Le doigt postérieur tendu (ou les autres, quelquefois un seul, quelquefois deux) s’enfonce comme un couteau dans le dos ou la gorge de l’oiseau. Quand il frappe, le faucon replie les ailes qui se rejoignent au-dessus de son dos. Si la proie est sérieusement touchée, – et d’ordinaire elle l’est, à moins d’être complètement manquée, – elle meurt sur le coup, soit du choc, soit de la perforation d’un organe vital. »

Son sens de l’observation et sa précision confèrent au texte, une richesse incomparable dans le détail sur chaque espèce d’oiseaux observé durant ces nombreuses années.

Écrire sur la nature est un défi permanent. Le fait est qu’il peut être un peu ennuyeux, au bout d’un moment, de regarder un rouge-gorge chasser les vers. Et les arbres ne vous en donnent même pas autant. Les écrivains de la nature ont relevé ce défi de diverses manières : en fournissant des analyses scientifiques éclairantes, en trouvant des exemples vraiment étranges et parfois difficiles à comprendre de phénomènes naturels, en racontant des histoires réconfortantes ou anthropomorphes sur des animaux particuliers, ou encore en recourant à la description poétique et à la rêverie romantique. Baker emprunte la dernière voie.

Son expression littéraire n’a rien à voir avec des notes simples et factuelles. Ce travail d’observation des oiseaux devient plutôt une étrange sorte de poème lyrique, dans une rhapsodie de désirs douloureux d’un homme frêle qui souhaiterait lui aussi voler voler librement.

Le mérite de ce livre doit donc être jugé sur des critères esthétiques plutôt qu’informatifs. Et Baker y parvient. Sa prose est dense d’images et lourde de simulations. Il tord les mots en nœuds épais pour tenter de transmettre l’intensité quasi-mystique de ses visions. L’émotion dominante est celle de la désolation et du désespoir. Le vide du paysage reflète une sorte de vide intérieur, et sa fascination pour le faucon pèlerin devient l’expression d’une aspiration profonde à une vie plus riche et plus pleine. Même si l’atmosphère est souvent triste, et violente car il décrit avec minutie la mort des oiseaux chassés et tués par le faucon pèlerin, ce livre est exceptionnel et mérite qu’on s’y intéresse vraiment à petite dose. Je conseillerai par exemple de le lire selon la saison et le calendrier de l’auteur afin de mieux s’imprégner du changement des saisons et du comportement du faucon pèlerin.