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Un rossignol dans la ville – David Rothenberg

Un rossignol dans la ville, verso

Dans ce remarquable ouvrage, David Rothenberg s’est penché sur cet oiseau emblématique des nuits printanières, à la fois sur le plan esthétique, mais aussi sur le plan scientifique.

Pourquoi a-t-il  éprouvé le besoin de réunir des humains et des rossignols pour faire une musique interespèces ? Le premier élément de réponse qu’il apporte est que cela permet de «créer quelque chose qu’aucune espèce ne pourrait faire seule». Il pose ici de nombreuses questions et cherche avec l’aide de scientifiques, chercheurs, bioacousticiens de renom à savoir notamment si nous pouvons mesurer la beauté d’un chant d’oiseau et en particulier celui du rossignol ?

Pour aller plus en profondeur, il cherche également avec l’aide de biologistes comme Richard Prum à savoir en quoi « l’évolution de la musique du rossignol s’inscrit-elle dans un monde artistique ? ». Une autre énigme apparaît logiquement : « Les rossignols aiment-ils jouer leur musique avec des humains ? ».

Mais il ne fait pas qu’interroger les scientifiques, David Rothenberg cherche aussi à leur apporter des réponses pour justifier «l’idée que la nature et l’humanité puissent cohabiter.» Au-delà des sons produits, du chant émis par les oiseaux, il cherche à comprendre en quoi «un chant s’harmonise avec le lieu où il est chanté» et s’intéresse ainsi à son paysage sonore. Il nous emmène dans des domaines que nous sommes loin d’imaginer par exemple, en nous faisant découvrir un mystérieux «effet Sharawadji» par l’intermédiaire d’un spécialiste des grillons Lars Fredriksson, et qui pourrait se définir par «la beauté de l’irrégularité recherchée». Tout aussi étrange, on apprend ici que les mâles rossignols émettent un étrange son, le son «boori», et dont la chercheuse Silke Kipper démontre que «les femelles rossignols aiment ce bourdonnement bien plus que n’importe quelle autre sonorité chantée à tue-tête par les mâles. ». Mais à la question de savoir si ce son est moche, son ami le musicien expérimental Korhan Erel répond « ce ne sont que des concepts humains… cet oiseau a plus de matière à nous offrir que ce nous lui apportons ».

Comment savoir si jouer de la musique avec eux influence réellement cette espèce ? Citant John Keats, « Beauté, c’est Vérité. Vérité, c’est Beauté ». La beauté n’est pas un critère scientifique, mais alors comment l’évaluer ? En quoi les préférences des femelles rossignols sur le plan esthétique sont-elles déterminantes pour la survie de l’espèce ? Tina Roeske en conclue que ces oiseaux ont du Swing et que « l’aspect le plus mesurable de la musicalité du Nachtigall repose sur le rythme et non sur la structure ou la forme. »

Pour David Rothenberg les rossignols seraient les «Thelonious Monk dans le monde du chant aviaire» car il nous surprend et nous surprendra toujours. Une autre révélation est que les silences qui marquent chaque séquence d’un chant de rossignols sont tout aussi déterminants que les claquements, bourdonnements, sifflements de son chant. Ainsi Ofer Tchernichovski sur la base de milliers de phrases individuelles de chants de rossignols enregistrés dans toute l’Europe, a pu en faire une représentation graphique révélatrice.

Mieux encore, David cherche à comprendre comment les sons aviaires s’assemblent pour former un ensemble acoustique dans un paysage sonore ? Il cherche à encourager l’écoute active ou de percevoir « l’ancrage de cet ensemble » dans le monde réel. « Comment savoir si un paysage sonore est meilleur qu’un autre ? ». Il reprend ici « l’hypothèse de la niche » de Bernie Krause, hypothèse selon laquelle chaque oiseau produit des sons dont la fréquence lui est propre et qui permet de l’identifier en tant qu’individu.

Seriez-vous la différence entre un Rossignol philomèle ou un Rossignol progné ? Dans sa quête de beauté, il a écouté le « plus beau son de nature» pour comprendre ce qui en fait la perfection.

Mais au-delà de toutes ses interrogations, il conclut que si nous voulons «estimer à sa juste valeur la musique de l’oiseau, nous devons nous plonger dans son propre sens esthétique. Si nous voulons participer à sa musique, nous ne pouvons pas l’imiter, mais devons apprendre de lui en apportant notre propre humanité à cette relation.»

Quel est le but recherché par David lorsqu’il fait de la musique avec d’autres espèces animales comme les baleines, les insectes ou les oiseaux ? Sa réponse évidente est parce qu’il nous permet de « contribuer aux merveilleux sons du monde et simplement les apprécier » (p.136), en étant convaincu qu’il est de rendre les gens meilleurs et de contribuer à mieux aimer ce qui nous entoure.

Bien sûr, on ne peut s’intéresser aux sons, à la musique sans s’interroger sur ce qu’est le silence. Est-ce « l’absence de son ? », il le voit davantage comme un « instant de profonde réflexion », « un espace mental ». Mais « jusqu’où faut-il aller dans la connaissance d’un son pour le comprendre? ». Il explique « qu’écouter de la musique est une activité acousmatique, et que c’est à nous de choisir que ce nous écoutons est de la musique, mais qu’avant d’être ou d’avoir été de la musique », un « son reste un son ».

David avoue que ce qu’il attend de la musique c’est de pouvoir s’y réfugier, il recherche des lieux exempts de bruits, qui lui permet simplement d’exister. Ici, il en vient au sujet principal de son livre : « qu’est-ce qui pourrait vous inciter à tourner la page de cette quête confuse ? La recherche. La recherche du son parfait et de l’attention parfaite nécessaire pour la trouver. » Et le rossignol dans tout cela ? « le chant de cet oiseau est inexorable et particulièrement bizarre » et « dont la finalité est de chanter, tout simplement ».

Dans les « 11 voix vers la musique animale » il cherche à convaincre ceux qui voudraient jouer de la musique avec les oiseaux.

Il n’oublie pas la poésie, la littérature pour célébrer cet oiseau à travers des citations de Hafez de Chiraz, Saadi, Richard Mabey, Oliver Pike, Rosa Luxemburg, John Berger, Samuel Taylor Coleridge, John Clare, Percy Bysshe Shelley, Shakespear, William Stanley Mervin, John Keats, Goethe, John Muir, Kant… et nous convie à participer à cette musique, à vibrer au chant du rossignol, d’ouvrir nos sens et notre âme dans une véritable écoute. Et de finir par ces deux vers qu’il nous offre en conclusion de sa quête :

 

« Rossignol

Ton chant nous survivra à tous »

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8 années après la parution du livre « Le Logis, une expérience éducative choc »

Depuis la parution du livre écrit en 2015 après deux années de recherches, de nombreux témoignages sont venus compléter les 44 autres du livre. Bien sûr, il y a des témoignages contradictoires, ou redondants, mais qui viennent élargir le débat qu’a toujours provoqué l’expérience éducative du Logis, malgré le temps passé.

Peut-être pourrais-je ajouter ces témoignages complémentaires à une édition revue et augmentée ? Je ne sais pas encore si cela trouverait encore un intérêt notamment pour de futurs éducateurs spécialisés en formation dans les écoles aujourd’hui. C’est à eux que ce livre s’adresse maintenant en priorité pour s’inspirer et puiser dans cet ouvrage quelques idées pouvant s’avérer porteuses de développement positif auprès d’adolescents en souffrance.

J’insère ici quelques témoignages de lecteur :

27/01/2016 La larme à l’oeil

« Je suis un ancien du Logis et j’ai fait un retour dans le passé de 30 ans, ce livre retrace une partie de notre vie qui sans eux serait je pense un désastre. J’écris ces mots comme ils sortent de ma bouche avec encore aujourd’hui beaucoup d’émotion, j’ai indiqué comme titre la larme à l’œil car celle-ci est bien là le long de ma joue, je remercie du fond du coeur Marie-Hélène pour cette ouvrage qui ma permis de ne pas oublié, qui ma permis de retrouver au fond de moi des souvenirs, des images, des noms.
Je ne peut que vous dire une chose : lisez ce livre pour apprendre pour découvrir une équipe au grand coeur. »

03/12/2015 Histoire vraie

« Histoire de vie de groupe dans un foyer raconté simplement
livre facile à lire et plein d’émotion. A lire absolument ! »

11/02/2016 A LIRE ET A RELIRE

« Pour qui a vécu cette période ce livre éveillé le grenier à souvenir et donne tout son sens à ce présent qui nous occupe…
Je formule le vœu que des éducateurs s’emparent de ce livre pour affûter leur réflexion et nourrir leur quotidien. Les livres sur l’éducation sont si rares que celui là vient comme un diamant dire que la pédagogie n’est pas morte !!!! »

24/11/2015 Rétrospective originale d’un projet pédagogique d’avant-garde : témoignages trente ans après..

A ma connaissance, dans les domaines psycho-socio-éducatif et pédagogique, rares sont les ouvrages donnant la parole aux principaux intéressés, en lʼoccurence ici, aux adolescents en rupture familiale et sociale. De surcroît lorsque ces derniers “se permettent” dʼaborder la pédagogie élaborée par “qui de droit”. Plus exceptionnel encore -semble t-il- quand lʼauteure ici ose associer cette expression à celle des éducateurs censés les “prendre en charge” au sein dʼune institution dirions-nous “classique”.
Lʼintérêt de ce livre réside donc essentiellement dans lʼoriginalité à recueillir les témoignages des adolescent-e-s, conjointement et “à égalité” pourrait-on dire, avec ceux des travailleurs médico-socio-éducatifs, des artistes qui les accompagnèrent dans leur métamorphose pour une ré-insertion sociale et/ou familiale. Qui plus est, 30 ans après leur séjour au “Logis”…
Cette compilation de témoignages tous aussi remarquables les uns que les autres nous offre donc à la fois une vue synoptique et la rétrospective, trois décennies plus tard, de ce qui fut pour “évaluer” le bien-fondé du projet pédagogique “avant-gardiste” de cette structure dʼaccueil pour adolescents en grande difficulté. Plus précisément, le livre nous invite à le découvrir, non pas de manière livresque, graphique, statistique, modélisé ou théorique, mais à travers le récit, la relation de chacun-e- des protagonistes quelles que fussent leur histoire de vie ou leur place au sein de ce groupe co-géré. Lʼauteure bouscule ainsi “nos codes”, nos représentations, notre perception de ce qui jusque là, nous apparaissait évident, logique, cohérent, ”habituel” tant dans
lʼorganisation hiérarchique pyramidale que dans le cloisonnement, la planification des compétences pluri-disciplinaires mobilisées en faveur de cette jeunesse en rupture avec elle-même et sans autrui. A la faveur de la richesse plurielle des témoignages spécifiques à chacun, parce-que sont remarquables lʼauthenticité, lʼhonnêteté des propos non édulcorés ni même passés sous silence parce-quʼils pourraient être déplaisants ou pénibles à découvrir, le lecteur ainsi respecté pourra élaborer sa propre opinion quitte à mettre quelques bémols dans la “symphonie” des Snyüles sʼil le souhaite. Cependant, trente plus tard, devenus adultes voire parents ou toujours travailleurs médico-sociaux ou artistes dans lʼâme, la publication de ce livre en cette fin 2015 nous invite à cette réflexion : la problématique et les moyens mis en œuvre “à lʼépoque” perçus -a minima- comme “déraisonnables” furent-ils aussi peu efficients que cela ? Au point quʼaujourdʼhui encore, lʼempreinte affective, lʼintelligence du cœur et dʼ esprit semblent rester vivaces et porteurs dʼavenir pour les Logisien-nes/Snyüles haut-savoyards dʼArgonay et leurs enfants … Lʼauteure démontre ainsi que les Logisien-ne-s eux-mêmes ont su “sʼemparer intellectuellement des fondements mêmes de ce projet
pédagogique qui, trente ans plus tard, se pérennisent et se traduisent toujours dans leur conduite de vie.
Merci donc à lʼauteur, Marie-Hélène Ray, à Pierre Lavy auquel elle dédie son livre. A tous les “témoins”… »

04/12/2015 Merci de nous rappeler que sans notre volonté, la renaissance est longue à se manifester !

« Lorsque l’automne de la vie frappe à votre fenêtre, il est bon de se remémorer les passages difficiles de l’existence, et l’émotion passée, se dire qu’il n’y avait d’autre issue que la volonté de renaître afin de reprendre le chemin sur lequel notre destinée attendait. Oui, la volonté individuelle alliée à l’aide de gens qui savaient ce que parler veut dire, écouter l’autre en s’oubliant soi-même, sachant découvrir dans les yeux des interlocuteurs les signes de la vie qui ne trompent pas. Au fil des pages du livre « Le logis », nous découvrons les éléments qui aujourd’hui font tant défaut à notre société, à savoir le respect, l’écoute et l’encouragement. Souvent, la volonté de survivre n’est pas suffisante, si depuis la berge personne ne vous tend la main ou lance une bouée afin de vous y agripper. Dans l’établissement où nous conduit Marie-Hélène Ray, il n’y avait pas qu’une bouée, mais des dizaines, avec, inscrite en lettres claires sur chacune d’elle, une destination précise. Merci à l’auteure de nous avoir guidés dans cet établissement où les choses de la vie n’étaient pas que des rêves et où les pieds ne se dérobaient pas devant les obstacles. Merci encore pour cette immersion qui nous murmure à l’oreille que le printemps n’est pas une saison oublieuse. »

07/09/2016 Une lecture choc

« Marie Hélène RAY, par un travail de fine couture au cour duquel elle rassemble les pièces d’un puzzle nommé le Logis, nous donne à lire la manière dont chacun-e – travailleur social, jeune, artiste invité, intervenant en sport, lingère, bénévole – a fait l’expérience de ce lieu de vie pour des jeunes confiés par le juge des enfants, dans les années 80. Ces multiples lorgnettes sont autant de fenêtres d’où l’on regarde, on imagine, on entend quelle fut cette pensée originale, bravant les normes, repoussant les limites, laissant libre cours à la créativité de chacun-e, sur laquelle reposait le projet éducatif du Logis. La place faite à l’expérience artistique est au cœur de l’institution, comme au cœur de l’écriture, dont l’auteure nous transmets quel « choc » fut le passage par le Logis. A lire dans ces temps où la réglementation, l’exigence de sécurité, la prégnance de l’évaluation, pourraient nous faire oublier la puissance de la rencontre, la valeur sublimatoire de la création, l’importance de la parole. »

10/12/2015 Professionnels de l’éducation lisez ce livre !

Si ce livre n’avait pas été écrit, cette expérience pédagogique exceptionnelle serait passée aux oubliettes et cela aurait été fort dommageable, non seulement pour les témoins de cette époque, mais surtout pour les éducateurs d’aujourd’hui et de demain et, je dirais même, pour les parents que nous sommes. Ce livre pourrait très bien servir d’outil de réflexion et de travail pour tous les professionnels s’occupant d’adolescents en difficulté. Il mérite aussi d’être porté à l’écran pour toucher un plus large public. Bravo à l’auteur pour avoir su faire émerger l’âme de ce foyer d’adolescents,tant par les précisions sur son histoire, son fonctionnement, ses événements que par ses témoignages aussi vifs et émouvant 30 ans après. On pourrait seulement se demander, pourquoi, quand une institution fonctionne, faut-il qu’on la détruise ?

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Les oies des neiges par William Fiennes

couverture du livre Les oies des neiges William Fiennes
Les oies des neiges – William Fiennes

    « Ce gars est venu d’Angleterre pour observer les oies », a dit Ken.

  • Ah bon ? a répondu Jack d’un ton distrait, en se passant la main sur les cheveux, les yeux perdus en direction du lac et des champs plats.
  • Il compte les suivre d’Eagle Lake au Canada jusqu’à la baie d’Hudson, et peut-être même jusque dans l’océan Arctique.
  • Chacun ses goûts, a commenté Jack.
  • Il vient d’atterrir. Il n’a jamais vu une oie des neiges.
  • Tiens donc. Quelquefois, moi aussi j’aimerais bien n’en avoir jamais vu.
  • Pourquoi dites-vous une chose pareille ? ai-je demandé.
  • Il y en a trop, de ces saletés. Restez donc ici, un petit moment, et vous en verrez à ne plus savoir qu’en faire.

…Six cent mille grandes oies des neiges s’accouplent dans les îles de l’océan Arctique, au nord-est du Canada, et partent vers le sud chaque automne, passant au-dessus du Québec et de la Nouvelle-Angleterre, pour aller hiverner le long de la côte atlantique des États-Unis, du New-Jersey à la Caroline du Nord. Elles sont toutefois beaucoup moins nombreuses que les petites oies des neiges Chen caerulescens caerulescens, l’espèce sans doute la plus abondante dans le monde…

Six millions de petites oies des neiges s’accouplent d’un bout à l’autre de l’océan Arctique, depuis l’île Wrangel, au large de la Sibérie, à l’ouest, jusqu’à la baie d’Hudson, l’île Southampton et l’île de Baffin, à l’est, et à la fin de l’été elles partent hiverner dans le sud des États-Unis et le nord du Mexique.

La passion de William Fiennes pour les oies blanches n’est dû qu’au hasard d’un livre familier – L’oie des neiges de Paul Gallico – trouvé dans la bibliothèque de son hôtel où il était en convalescence après une très longue maladie fulgurante. Ce livre obséda tant Fiennes, par les descriptions de la migration des oies, l’amenant à s’interroger sur ce qui poussaient ces oiseaux à partir au début du printemps dans les régions arctiques. Cette obsession se transforma en passion le poussant à l’observation des oiseaux. C’est ainsi que l’idée du voyage pour suivre la route migratoire des oies des neiges depuis le Gold du Mexique jusque sur le lieu de leur reproduction dans le grand nord canadien.

Les Oies des neiges est un récit de voyage mais où la science se mélange à la perception unique que Fiennes a des personnes qu’il rencontre en chemin, et à ses observations méditatives sur l’instinct de migration chez les oiseaux et au besoin de rentrer au pays pour les hommes. Son regard d’ornithologue lui permet de détecter les choses étranges de notre espèce, avec une façon merveilleusement vivante et inattendue de les enregistrer :

« … un petit bonhomme presque sphérique, la soixantaine bien tassée, vêtu d’un anorak vert olive, d’un pantalon anthracite au pli aiguisé et de chaussures noires en cuir verni, était perché tout au bord du siège en lattes de bois, les mains posées l’une sur l’autre sur le pommeau d’une canne – une canne orthopédique, fournie par un hôpital, avec à la base un sabot en caoutchouc éraflé et le long de ses tubes de métal des trous qui faisaient penser à ceux sur lesquels on appuie ses doigts dans une flûte à bec. »

Étonnamment, cet homme âgé avait fui la maison à l’âge de quinze ans en prenant le premier train en partance de Montréal. Ses histoires de crotales, d’ivrognes et de clodos qu’il avait rencontrés en cours de route ont amusé Fiennes de Winnipeg à la baie d’Hudson, mais son propre récit des problèmes auxquels ont été confrontés les hommes qui ont construit le chemin de fer de la baie d’Hudson est tout aussi fascinant.

La traque des oies des neiges en migration s’avère pleine d’imprévus, mais Fiennes réussit à voir ses oies au-delà de toute imagination possible. C’est ainsi que depuis le Texas, Fiennes suit les oies vers le nord, en bus Greyhound, en voiture et en train. Parfois, il est bloqué à attendre que les oies le rattrapent, mais c’est l’occasion de rencontres avec les autochtones et d’observation d’autres espèces d’oiseaux. Il finit par atteindre l’aire de reproduction des oies des neiges à Foxe Land, au bord du détroit d’Hudson. Là, dans un paysage si étrange qu’il se sent étourdi et désorienté, il accompagne une chasseuse inuite et son fils fumeur compulsif dans une expédition de chasse. À son grand désarroi, il finit par manger un ragoût d’oie des neiges.

Le voyage de Fiennes, comme celui des oies, est un voyage de migration, de retour, et de découverte. Outre la description détaillée de son voyage, il décrit la première découverte médicale de la nostalgie ou mal du pays en tant que condition clinique chez les humains ; il explique les étranges expériences que les scientifiques ont conçues pour découvrir pourquoi et comment les oiseaux migrent ; et il note, en passant, les instincts migratoires et de retour des gens qu’il rencontre et retrouve les mêmes impulsions en lui-même.

C’est un livre attachant et l’impatience nous gagne au fur et à mesure qu’il avance dans son voyage d’accompagnement des oies des neiges sur le chemin de la migration. Ses explications scientifiques sur le besoin vital des oiseaux à suivre leurs routes migratoires est très intéressante et claire à tout néophyte. Si vous n’êtes pas passionné par les oiseaux, il se peut fort bien qu’à la fin de cette lecture, vous vous preniez également à lever systématiquement les yeux au ciel pour suivre du regard tout vol d’oiseaux à votre portée et même à vous documenter sur les espèces vivant autour de chez vous. Ce n’est pas très grave, c’est une bonne habitude et même cela peut ouvrir des horizons, pour comprendre l’interaction entre la nature, les oiseaux et l’homme et l’importance que leur préservation a sur l’avenir de notre planète.

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Les petites chaises rouges – Edna O’Brien

11 541 chaises rouges furent alignées dans la grande rue de Sarajevo le 6 avril 2012, longue de 800 m. Chaque chaise vide représentait un habitant de Sarajevo, tué durant le siège de la ville bosniaque. 643 petites chaises étaient alignées pour tous les enfants tués au cours de ce siège soit par l’artillerie soit par les snipers postés dans les collines de la ville.

Ce roman s’articule autour d’un étranger qui vient s’installer dans un petit village d’Irlande. Il porte une longue barbe blanche et une robe noire et se décrit, à différentes époques, comme prêtre ou moine, médecin New Age, guérisseur sexuel et poète. Il s’insinue auprès des villageois. Par exemple, en appliquant des pierres chaudes dans le dos de Sœur Bonaventure qui visite sa clinique afin de vivre une liberté spirituelle qu’elle n’a pas ressentie depuis sa jeunesse. Une jeune femme mariée, Fidelma McBride, tombe amoureuse du médecin et le convainc de coucher avec elle parce qu’elle désire à tout prix un enfant.

Le village se forge une opinion unanime sur le médecin. Ils l’adorent sans réserve. Ce personnage du Docteur Vladimir Dragan est un vrai comique, avec sa longue barbe, ses soins New Age et ses promesses de guérison sexuelle.

Ce qui pourrait ressembler à une satire joyeuse à laquelle on pourrait s’attendre ne se concrétise pas ; il n’y a aucune chute. Cette blague sans fin commence à être sinistre car très vite on comprend que le Docteur Vlad est un criminel de guerre, inspiré par le Docteur Radovan Karadzic, ex-président de Serbie, psychiatre et bourreau, aussi connu comme la Bête de Bosnie. (Il vient d’être condamné à la perpétuité en mars 2019, par le tribunal pénal international de La Haye pour crimes contre l’humanité.) La liste des horreurs perpétrées par Karadzic est difficile à dresser. Sauf qu’O’Brien en tient compte dans son titre justement.

Le narrateur perspicace sillonne et se faufile dans l’esprit de nombreux personnages. Ainsi à un moment, nous découvrons le récit d’un enfant réfugié, Mujo, originaire de Sarajevo, qui s’est enfui en Irlande. Mujo reconnaît le Dr Dragan et joue un rôle déterminant dans son arrestation. Nous découvrons les pensées du médecin lui-même, qui se prend pour un héros de guerre et un poète influent. Nous ressentons ce que ressent Fidelma, après qu’elle ait été agressée sexuellement avec un pied de biche et laissée pour morte par d’anciens amis du criminel de guerre. Et nous suivons Fidelma à Londres, où elle tente d’échapper au traumatisme de son attaque et au regard oppressant et désapprobateur des gens de son petit village.

Dans une description stylistique tout simplement touchante, nous découvrons des personnes privées de leurs droits, des réfugiés de toutes sortes, des migrants, des pauvres, ceux qui s’en sortent à peine dans cette ville. Nous surprenons de belles âmes dans des actions banales : gratter la cire de la bougie sur les bougeoirs d’une église, mettre un Wellington, se maquiller, parler du travail, des enfants abandonnés dans leur pays d’origine, des membres de la famille qu’on a torturés, des voisins qui dénoncent leurs voisins. Ce sont les « gens de la nuit« , qui travaillent dans des emplois de misère tandis que la ville dort. Ce sont des « fantômes« . O’Brien pourtant les décrits avec beaucoup de tendresse.

J’ai été submergé par l’horreur, par la tristesse des « Petites chaises rouges », mais également par la beauté qui ressort, transpire de l’écriture d’Edna O’Brien.

C’est un chef d’œuvre, à n’en pas douter.

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Le parti pris des oiseaux – Stanislaw Lubienski

Le livre alterne entre des histoires passionnantes et des idées qui viennent à l’auteur de manière parfois erratiques mais cela n’est pas dérangeant. Chaque page contient une image merveilleuse : le cri du vanneau est « larmoyant et plaintif, comme les sons que l’on émet en tournant les cadrans d’une radio Śnieźka ». Łubieński est plus que capable de se révolter. Il écrit avec une réelle passion sur l’impact dévastateur sur les oiseaux de Varsovie de la refonte des parcs et jardins publics de la ville.

Stanisław Łubieński est le type même d’ornithologue que j’affectionne. Il ne s’arrête pas lorsque les jumelles sont remises sur l’étagère mais creuse un peu plus. Il veut toujours en savoir plus sur l’histoire, la science, les coutumes, les traditions, et il a toujours une histoire amusante à raconter. Son récit sur le baguage des oiseaux est formidable. Il semble que les Troglodytes ne posent pas de problèmes en se laissant manipuler docilement. Les autres oiseaux comme les mésanges peuvent se débattre et donner des coups de bec, mais le Roitelet huppé (qui ne pèse que cinq ou six grammes, se blottit contre le col de votre chemise. Parfois, explique Łubieński, le bagueur oublie que son nouvel ami est là et, en se déshabillant dans sa tente, il est surpris de voir un minuscule paquet de plumes dégringoler sur le sac de couchage. Quant à la migration, Łubieński reste admiratif, de la Sterne artique ou Paradisae, capable de parcourir plus de 70 000 kilomètres en une seule année. Sa migration s’effectue entre le Groenland jusqu’en Antartique. Quant à la Barge rousse, explique Łubieński, elle est capable de parcourir onze mille kilomètres entre l’Alaska, son lieu de nidification et la Nouvelle-Zélande, dans un vol ininterrompu de huit jours. Pour cela, elle s’alimente en ingérant une partie de son appareil digestif et de certains muscles. Ainsi plus elle avance, plus elle s’allège et plus elle augmente sa vitesse de propulsion…

L’éventail des intérêts de Łubieński est profondément impressionnant. Il consacre tout un chapitre à la disparition progressive des cigognes en Pologne. Il analyse à travers l’art et le folklore les raisons qui ont amené la cigogne à choisir d’autres contrées et de terres de migration. Les oiseaux inspirent les hommes depuis la nuit des temps. Ils sont les notes derrière le génie de Mozart, les couleurs derrière l’art Chelmonski ou Malecki. Ce livre ouvre un vaste royaume de sons, de couleurs et de significations étonnants – un monde complet dans lequel nous, les humains, ne sommes jamais seuls.
Un mélange enchanteur et stimulant d’observation attentive des oiseaux et d’histoire culturelle, raconté avec une perspective nouvelle et rafraîchissante.

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Le Pèlerin – John Alec Baker

Ce livre m’a littéralement sidérée.

Il a été écrit comme une élégie pour ces magnifiques rapaces, qui, il y a 50 ans, étaient au bord de l’extinction au Royaume-Uni à cause des pesticides. Heureusement, les choses ont changé depuis et le Faucon pèlerin est à nouveau hors de danger. Ce livre est le résultat de dix années d’observation, regroupées en une période unique allant de l’automne au printemps.

L’écriture de Baker est exquise et presque chaque page contient des phrases et parfois des paragraphes entiers qui font s’arrêter le lecteur devant leur beauté :

« Cinq cent huitriers pies arrivent du sud, blanc et noir brillant, sifflant de leur bec rose comme du sucre d’orge. Les pattes noires du sanderling courent sur la plage blanche. Un bécasseau cocorlis se tient à l’écart, délicat, l’air d’un poulain, sur un fond d’eau frisée, des yeux doux, mi-clos dans la basane de son plumage facial. La mer recule. Des limicoles nagent dans les vapeurs, reflets liquides amarrés à des ombres noires immobiles ».

Voici sa description du vol du faucon pèlerin :

« Le pèlerin plonge la tête la première pour s’abattre sur sa proie. En descendant, il tend les pattes en avant alors que les serres sont encore cachés sous sa gorge. Les doigts sont crispés, le quatrième, qui est à l’arrière et qui est aussi le plus long, se glissent sous les trois autres qui s’écartent. Il passe tout près de l’oiseau, c’est tout juste s’il ne le frôle pas, en continuant son vol piqué. Le doigt postérieur tendu (ou les autres, quelquefois un seul, quelquefois deux) s’enfonce comme un couteau dans le dos ou la gorge de l’oiseau. Quand il frappe, le faucon replie les ailes qui se rejoignent au-dessus de son dos. Si la proie est sérieusement touchée, – et d’ordinaire elle l’est, à moins d’être complètement manquée, – elle meurt sur le coup, soit du choc, soit de la perforation d’un organe vital. »

Son sens de l’observation et sa précision confèrent au texte, une richesse incomparable dans le détail sur chaque espèce d’oiseaux observé durant ces nombreuses années.

Écrire sur la nature est un défi permanent. Le fait est qu’il peut être un peu ennuyeux, au bout d’un moment, de regarder un rouge-gorge chasser les vers. Et les arbres ne vous en donnent même pas autant. Les écrivains de la nature ont relevé ce défi de diverses manières : en fournissant des analyses scientifiques éclairantes, en trouvant des exemples vraiment étranges et parfois difficiles à comprendre de phénomènes naturels, en racontant des histoires réconfortantes ou anthropomorphes sur des animaux particuliers, ou encore en recourant à la description poétique et à la rêverie romantique. Baker emprunte la dernière voie.

Son expression littéraire n’a rien à voir avec des notes simples et factuelles. Ce travail d’observation des oiseaux devient plutôt une étrange sorte de poème lyrique, dans une rhapsodie de désirs douloureux d’un homme frêle qui souhaiterait lui aussi voler voler librement.

Le mérite de ce livre doit donc être jugé sur des critères esthétiques plutôt qu’informatifs. Et Baker y parvient. Sa prose est dense d’images et lourde de simulations. Il tord les mots en nœuds épais pour tenter de transmettre l’intensité quasi-mystique de ses visions. L’émotion dominante est celle de la désolation et du désespoir. Le vide du paysage reflète une sorte de vide intérieur, et sa fascination pour le faucon pèlerin devient l’expression d’une aspiration profonde à une vie plus riche et plus pleine. Même si l’atmosphère est souvent triste, et violente car il décrit avec minutie la mort des oiseaux chassés et tués par le faucon pèlerin, ce livre est exceptionnel et mérite qu’on s’y intéresse vraiment à petite dose. Je conseillerai par exemple de le lire selon la saison et le calendrier de l’auteur afin de mieux s’imprégner du changement des saisons et du comportement du faucon pèlerin.

SWING TIME – Zadie SMITH

C’est mon premier livre de Zadie Smith et je suis à la finswing time du livre relativement déçue.

Zadie Smith est reconnue comme étant une écrivaine fantastique (britannique). Son regard sur la société est brillant et perspicace, ses personnages détaillés et complexes sont le moteur de son travail, ses petites observations sur la nature humaine sonnent juste. Mais elle mélange tout. Elle aborde les thèmes de la race, du genre, du colonialisme, du capitalisme, de la culture des célébrités et de la théorie de la danse et les aborde tous en même temps, et finalement en approfondissant aucun d’entre eux correctement. Swing Time effleure la surface de ces thèmes mais pas un seul n’est mémorable.

Cela donne l’impression d’être une série de pièces déconnectées mais magnifiquement écrites, qui flottent toutes sans direction ni objectif.

Swing Time saute constamment d’une époque à l’autre et d’un endroit à l’autre, ce qui fait qu’il est vraiment difficile de s’investir dans les chemins de traverse qu’il emprunte. Tracey est de loin le personnage le plus intéressant, ce qui rend les chapitres d’Aimee visiblement ennuyeux et difficiles à parcourir. L’histoire promise dans la 4e de couverture – de deux jeunes filles métisses passionnées par la danse qui vont devenir amies – constitue la première partie du livre est intéressante, mais l’histoire s’en éloigne rapidement et finalement se perd. Il y a un réel manque de concentration tout au long du livre et j’ai passé beaucoup de temps à avoir l’impression de dériver sans but. Il m’a fallu plusieurs semaines pour arriver au bout du livre avec grand peine.

Le narrateur anonyme semblait être une technique intéressante au début, mais cela a donné lieu à un récit très distant et impersonnel. Il y a une distanciation réelle entre le narrateur et l’histoire, avec un récit très intellectuel – délivrant ses concepts intéressants sans aucune force d’attraction ou de vie pour eux.

D’un point de vue plus positif, j’ai aimé la façon dont l’auteur explore la façon dont les riches dépensent de l’argent pour des causes sans se soucier de savoir si et comment cela aide. J’ai également apprécié la façon dont elle montre les divisions au sein des races – les questions de race ne sont jamais aussi simples que celles de noir ou de blanc, il y a de nombreux aspects différents comme le lieu, la richesse, la classe, l’éducation et le fait que l’individu soit entièrement noir ou métis. Tous les individus d’une même race ne partagent pas les mêmes expériences.

Mais les aspects négatifs l’emportent sur les aspects positifs pour moi. Certaines parties du livre étaient intéressantes, mais mon manque général de connexion, associé à l’exploration non ciblée de tant de thèmes différents, en a fait une expérience ennuyeuse.

En un monde parfait – Laura Kasischke

C’est la fin du monde tel que nous le connaissons… et si c’était vrai ?
‘En un monde parfait’ une histoire qui se déroule dans un futur proche. C’est un drame familial dystopique, avec un sentiment croissant de malheur qui se poursuit jusqu’à la fin.

Le début de la vie de Jiselle, avant son mariage, se lit un peu comme la voix off de George Clooney dans Up In The Air. En tant qu’hôtesse de l’air qui doit vivre à proximité de l’aéroport, son travail occupe une grande place dans sa vie. Par conséquent, elle n’a pas d’amis proches à qui elle peut se confier, ni beaucoup d’occasion de rencontrer un amant. Son appartement est peu investi, et la plupart de ses biens sont des souvenirs d’autres pays. Une fois, alors que son amie s’inquiétait qu’elle laisse s’enfuir sa jeunesse, elle dit à Jiselle :  » Ne jamais avoir d’enfants. Tu as tellement de chance de n’avoir personne. »

Cela change rapidement lorsqu’elle rencontre Mark Dorn, un pilote de ligne, dans un bar d’aéroport. Il est probablement comme George Clooney dans sa jeunesse – beau, suave, et Jiselle tombe très vite dans ses bras. Au bout de trois mois, ils se marient et elle quitte son emploi pour assumer son rôle de belle-mère auprès des trois enfants de Mark pendant qu’il continue à piloter autour du monde. Jiselle fait face à un mari constamment dans les airs jusqu’au jour où il est bloqué dans les pays en raison d’une épidémie de grippe, appelée Phoenix ; quant à elle, elle doit prendre soin de ses enfants, Sara, Camilla et Sam. Sara et Camilla la détestent et essaient de lui rendre la vie aussi difficile que possible en lui volant ses vêtements, en s’habillant comme des salopes, se comportant généralement comme des adolescents. Sam, le plus jeune, est plus gentil avec elle. Il joue à des jeux de société avec elle, ou ils se promènent ensemble… mais Jiselle pense que c’est parce qu’il sait qu’elle n’a pas d’amis et qu’elle se sent seule.

Ce qui est intéressant dans le roman de Kasischke, c’est sa direction. A différents endroits, je pensais savoir où il allait, et puis je me suis complètement trompée. Je pensais que le début ressemblait à un vrai roman d’amour bien écrit ; puis au milieu, j’ai pensé que ce serait l’histoire classique de la Belle-mère, où Giselle serait éventuellement comme Julia Roberts ; de nombreuses fois, j’ai vraiment cru que Kasischke allait suivre une voie apocalyptique, où tout le monde meurt à cause de la grippe de Phénix (personne ne sait comment elle se propage ou se contracte) et où Giselle doit faire le Sacrifice ultime. En fin de compte, la grippe de Phénix a peut-être poussé certains événements à se produire, mais Kasischke se concentre toujours sur la résolution tranquille de Giselle et sur sa réaction au monde qui l’entoure. En lisant le livre, je me suis rendu compte que Giselle n’avait pas vraiment de personnalité perceptible. Son moi n’est pas vraiment évident au début du livre. Ce n’est que lorsqu’elle a des gens à aimer et à soigner qu’elle commence à se dévoiler et s’engager. Elle montre qu’elle est capable de faire plus que de s’attacher aux escapades amoureuses avec son mari.

En un monde parfait est incroyablement mélancolique, avec un sentiment de crainte omniprésent, comme si l’auteur présageait quelque chose et que vous attendiez le pire. Même lorsqu’il y a un événement heureux, il est difficile de sentir que les ennuis sont terminés. Mais je pense que le point de Kasischke est que, bien que son monde soit beaucoup plus incertain à la fin, et que quelque chose de mauvais puisse arriver, ce qui est important est que Giselle a maintenant une famille, même si tout ce qu’elle fait est de s’inquiéter pour sa nouvelle famille. Il n’y aque dans l’épreuve que l’on se rend compte de notre capacité à faire face et à mettre en place des mécanismes de défense à la fois pour soi et pour ceux qu’on aime.

J’ai aimé ce livre car il est très bien écrit, facile à lire et qu’on ne pose qu’après l’avoir terminé, bien qu’à la fin, tout est laissé en suspens. Dans ce livre ‘En un monde parfait’, rien n’est parfait, cependant je recommanderais ce livre. C’est une lecture qui fait réfléchir sur la possibilité que le monde s’arrête et que ce qui compte, ce sont les gens qu’on aime.

à la Une

Jazz – Toni Morrison

J’avais lu ce livre lorsqu’il était sorti en France et lorsque Toni Morrisson nous a quitté, j’ai cherché dans ma bibliothèque quels livres j’avais déjà lus. Je décidais donc de relire celui-ci, que j’avais acheté car j’avais été attirée par le titre musical.

Dans ce roman, Toni Morrison démontre une fois de plus qu’elle était l’une des romancières américaines les plus brillantes et les plus inventives jusqu’à sa disparition.

Je lis beaucoup, des auteurs aussi bien français, européens qu’étrangers, des dizaines de roman par an. Mais « Jazz » est un livre que j’ai eu du mal à poser.

Le narrateur dont on ignore le nom essaie de tout nous dire dès le début :  « Tst, je connais cette femme. Elle vivait avec une troupe d’oiseaux sur l’avenue Lenox. Connaît son mari, en plus. Il est tombé pour une fille de dix-huit ans avec un de ces amours tordus, profonds, qui le rendait si triste et si heureux qu’il l’a tuée juste pour garder cette sensation. Quand la femme, elle s’appelle Violette, est allée à l’enterrement pour voir la fille et lui tailladée son visage mort, on la jetée par terre et hors de l’église. Alors elle a couru dans toute cette neige, et quand elle est rentrée à la maison elle a sorti les oiseaux de leurs cages et les a posés derrière la fenêtre pour qu’ils gèlent ou qu’ils volent, y compris le perroquet qui disait : ‘je t’aime’.

Dès le début, nous avons les grandes lignes de ce qui s’est passé. Ce que nous – et le narrateur – voulons découvrir, c’est pourquoi tout cela s’est produit et ce que cela signifie. Dans une série de flashbacks, en imaginant son chemin à elle et à lui dans ce qui « a dû être » l’état d’esprit des différents personnages, la narratrice tente l’entreprise délicate et « risquée » (selon ses propres mots) d’essayer de découvrir la vérité : non pas les faits autour du meurtre, mais la vérité sur ce que les personnes touchées par cette tragédie ont ressenti pour eux-mêmes et envers les autres.

Le meurtre a lieu à Harlem en 1926. Bien que tout le monde sache que le mari de Violet Trace, Joe, a tué la fille, aucun témoin oculaire n’est prêt à témoigner. On explique en outre que  la tante de la fille morte ne voulait pas gaspiller son argent pour des avocats impuissants ou perdre son temps avec des flics qui se moquent de sa nièce. De plus, elle découvre que l’homme qui a tué sa nièce pleure toute la journée et pour lui et pour Violet. Joe et Violet sont un couple sans enfant qui vient d’entrer dans la cinquantaine. Ils sont originaires de la Virginie et ont été poussés vers le nord 20 ans auparavant par les promesses et l’excitation de la grande ville.

Joe, mari fidèle depuis 20 ans, se tourne vers Dorcas, 18 ans, aspirante esthéticienne qui vit avec sa tante Alice, très stricte.

La pauvre Alice s’est efforcée de garder sa nièce orpheline sur le droit chemin, à l’abri des tentations de la vie urbaine. Contrairement au narrateur et aux Traces, qui aiment la vie en ville, Alice est terrifiée par celle-ci. Elle déteste même le son du jazz

L’ironie est qu’Alice – et tous les autres – pensent que Joe Trace n’est pas dangereux. Et, comme on l’apprend, Joe est l’homme inoffensif qu’il semble être : doux, gentil, ne voulant aucun mal.

Au fil de l’histoire, on en vient à comprendre, sinon à excuser, ce qui s’est passé. Les personnages eux-mêmes ne peuvent excuser leur propre comportement, ce qui les déconcerte. Violet est obsédée par le souvenir de la fille morte dont elle a tailladé le visage.

Certaines des scènes les plus intéressantes du livre sont les rencontres ultérieures de ces deux femmes très différentes qui en viennent à se respecter mutuellement, avant même d’apprendre à se comprendre.

Violet, Joe, Alice, Dorcas et les autres personnages sont des gens ordinaires, mais individualisés, qui sont confrontés à de graves questions sur la façon qu’ils vivent leur vie : le genre de questions à la mode qu’on qualifiait « d’existentielles ».

Morrison aborde ces thèmes profonds avec gravité et une touche d’humour ironique : Il n’y a pas le moindre soupçon de prétention ou de présomption pour gâcher le flot spontané du récit.

Sans autre violence ou violation, sans épiphanies spirituelles miraculeuses, sans même les fioritures du mélodrame, les survivants parviennent à réparer leur vie, à la grande surprise du narrateur inconnu, qui n’avait pas compté sur la capacité qu’on les hommes à oublier et qui nous offre le cadeau de leur histoire poignante, triste et finalement régénératrice.

Cent ans – Herbjorg Wassmo

Voulant découvrir davantage de littérature scandinave, j’ai pensé que la lecture d’un roman sur les femmes d’une même famille sur plusieurs générations serait suffisante.

Et quelle lecture ! Une longue lecture, car mon édition comptait 592 pages et je lisais principalement ce roman le soir avant de dormir. Mais ça en valait la peine. Pas une seule minute ne m’a ennuyée avec les histoires incroyables de Sara Susanne, Elida et Hjørdis, l’arrière-grand-mère, la grand-mère et la mère de Herbjørg Wassmo.

Leur force est inspirante car, comme je l’ai découvert, la vie dans le nord de la Norvège au XIXe siècle n’était pas une croisière de plaisance. Les grossesses se succédaient, les rêves de ces femmes étaient le plus souvent étouffés et la nature était à la fois grandiose et dangereuse. Pourtant, ces femmes tenaient bon, malgré la rudesse de la nature et des hommes. On réalise à quel point ces femmes étaient courageuses et travailleuses, et que leurs aspirations toutes personnelles n’avaient pas leur place dans un monde aussi masculin que ce peuple de marins, de mineurs, ou d’agriculteurs. Aurais-je pu supporter une vie aussi limitée ? Je n’en suis pas si sûre.

Nous apprenons beaucoup de choses sur son climat, ses coutumes, sa géographie et son histoire. Oslo s’appelait Kristiania jusqu’en 1925. on comprend mieux comment la Norvège s’est développée et a fait face aux défis de la nature, au climat et aux tempêtes de la mer notamment pour sauver les pêches qui leur permettaient de vivre pendant des mois.

Je vous conseille vivement de lire ce livre si vous avez la patience de lire des centaines de pages, car ces femmes sont attachantes et démontrent un caractère bien trempé. On a vraiment envie de savoir ce qui va leur arriver et ce jusqu’aux dernières pages !